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- Catégorie : Steiner - Conférences & extraits de livres
- Mis à jour : lundi 13 avril 2020 09:25
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Extrait du livre "La pensée humaine et la pensée cosmique"
Première conférence du 20 janvier 1914 à Berlin
Traduction : Geneviève Bideau
© 1994 Éditions Novalis
(Tous droits réservés pour la version française – Reproduction complète ou partielle soumise à autorisation)
Dans ces quatre conférences que j'aurai à faire devant vous au cours de notre Assemblée générale, je voudrais parler du lien qui unit l'homme au cosmos en me plaçant à un certain point de vue. Et je voudrais indiquer quel est ce point de vue par les paroles suivantes :
L'être humain fait en soi-même l'expérience de ce que nous pouvons appeler la pensée et dans la pensée, l'être humain peut se ressentir comme quelque chose d'immédiatement agissant, quelque chose qui peut embrasser du regard son activité. Lorsque nous considérons un objet extérieur quelconque, par exemple une rose ou une pierre, et que nous nous représentons cet objet extérieur, quelqu'un peut dire à juste titre : en fait, tu ne peux jamais savoir jusqu'à quel point tu as en fait l'objet ou la plante quand tu en formes la représentation. Tu vois la rose, sa couleur rouge extérieure, sa forme, comment elle est séparée en divers pétales, tu vois la pierre avec sa couleur, ses divers angles, mais il te faut toujours te dire : il peut y avoir encore là à l'intérieur quelque chose qui ne t'apparaît pas vers l'extérieur. Tu ne sais pas quelle part de la pierre, de la rose tu as dans ta représentation.
Mais quand quelqu'un a une pensée, c'est lui-même qui fait cette pensée. On aimerait dire qu'il est à l'intérieur de chacune des fibres de cette pensée qui est la sienne. C'est pourquoi il est pour cette pensée tout entière celui qui participe à cette activité qui est la sienne. Il sait la chose suivante : ce qui est dans la pensée, je l'ai introduit ainsi dans la pensée en le pensant, et ce que je n'ai pas introduit dans la pensée en le pensant, cela ne peut pas non plus être à l'intérieur de celle-ci. J'embrasse du regard la pensée. Personne ne peut affirmer que, quand je forme la représentation d'une pensée, il pourrait encore y avoir dans la pensée une quantité de choses comme dans la rose et dans la pierre ; car j'ai moi-même produit la pensée, je suis présent en elle et je sais donc ce qui se trouve à l'intérieur.
C'est la réalité, la pensée est notre bien propre par excellence. Si nous trouvons la relation de la pensée au cosmos, à l'univers, nous trouvons aussi la relation de ce qui est notre bien propre par excellence au cosmos, à l'univers. Cela peut nous laisser présager que ce sera vraiment un point de vue fécond que de considérer quelle est la relation de l'être humain à l'univers à partir de la pensée. Nous allons donc nous livrer à cette considération et elle nous amènera à des sommets importants de la réflexion anthroposophique. Mais nous aurons aujourd'hui à édifier un soubassement qui pourra peut-être sembler abstrait à plus d'un parmi vous. Mais nous verrons dans les prochains jours que nous avons besoin de ce soubassement et que sans lui nous ne pouvons éviter une certaine superficialité dans l'approche des buts élevés que nous nous efforçons d'atteindre dans ces quatre conférences. Donc ce qui vient d'être dit nous laisse présager que l'être humain, lorsqu'il s'en tient à ce qu'il a dans la pensée, peut trouver une relation intime de son être à l'univers, au cosmos.
Mais la chose présente une difficulté, lorsque nous voulons nous placer à ce point de vue, une grande difficulté. Une grande difficulté non pas pour notre réflexion, mais pour le fait objectif. Et cette difficulté consiste en ce qu'il est certes vrai que l'on vit à l'intérieur de sa pensée dans chaque fibre de celle-ci et que cette pensée, quand on l'a, on la connaît nécessairement de la façon la plus intime parmi toutes les représentations ; oui, mais... c'est que la plupart des hommes n'ont pas de pensées ! Et habituellement on ne pense pas dans toute sa profondeur ce fait que la plupart des hommes n'ont pas de pensées. Et la raison pour laquelle on ne le pense pas dans toute sa profondeur, c'est que, pour le faire, on aurait besoin de... pensées ! Il faut tout d'abord attirer l'attention sur un point. Ce qui dans la vie sous sa forme la plus large empêche les hommes d'avoir des pensées, c'est que, pour l'usage habituel de la vie, les hommes n'ont absolument pas toujours besoin de s'avancer jusqu'à la pensée, mais qu'à la place de la pensée, ils se contentent de mots. En effet, la plus grande partie de ce que l'on appelle penser dans la vie habituelle se déroule en mots. On pense en mots. On pense en mots beaucoup plus qu'on ne croit. Et beaucoup de gens, lorsqu'ils demandent une explication de ceci ou de cela, se satisfont de ce qu'on leur dit un mot quelconque qui a pour eux un son connu qui leur rappelle ceci ou cela ; et ensuite, ils prennent ce qu'ils éprouvent en entendant ce mot pour une explication et ils croient qu'ils ont alors la pensée.